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Neutralité religieuse de l’État

Protéger le rôle civique et fiscal des institutions religieuses québécoises

Charities Cities Faith & Religion Halo Project Public Life Religious Freedom

La laïcité ne signifie pas l’effacement du religieux de l’espace public, mais l’égalité de traitement entre toutes les convictions.

MÉMOIRE

Soumis au : Comité d’étude sur le respect des principes de la Loi sur la laïcité de l’État et sur les influences religieuses

Présenté par : Jean-Christophe Jasmin, directeur pour le Québec

Le 15 mai 2025

SUJET: Neutralité religieuse de l’État : protéger le rôle civique et fiscal des institutions religieuses québécoises

L’Institut Cardus

Cardus est un institut de recherche non partisan qui s’engage, par la recherche et le dialogue, à clarifier et renforcer les moyens par lesquels les institutions de la société peuvent collaborer pour le bien commun.

INTRODUCTION

Contexte du dépôt

L’Institut Cardus accueille favorablement la démarche du Comité visant à dresser un portrait du respect de la laïcité et de la neutralité religieuse au sein des institutions de l’État québécois.

Dans un contexte où plusieurs voix s’élèvent pour remettre en question les exemptions fiscales dont bénéficient les organismes religieux, il nous apparaît essentiel de rappeler l’importance de ces dispositions pour la vitalité des communautés de foi, qui contribuent de manière significative tant au bien commun qu’aux intérêts de la nation québécoise.

Comme le démontre notre rapport L’exonération fiscale des organismes religieux : un plus pour tous les Canadiens (Cardus, 2024), les congrégations religieuses génèrent en moyenne 10,47 $ de valeur sociale et économique pour chaque dollar d’exemption fiscale reçu. Ce rendement illustre leur rôle unique en tant que fournisseurs de services communautaires, souvent dans des zones où l’intervention publique est limitée ou absente.

L’accessibilité aux services religieux est importante pour plusieurs citoyens Québécois. Malgré la perspective publique de la place marginale de la religion dans la société québécoise, la fréquentation des services religieux au Québec (20,9 million d’entrée par an) dépasse de loin l’admission totale de l’ensemble des spectacles et arts de la scène 1 1 Institut de la statistique du Québec, Faits saillants sur la fréquentation des arts de la scène au Québec – Données annuelles 2023, publié en mars 2024, consulté le 7 mai 2025: https://statistique.quebec.ca/fr/document/frequentation-des-arts-de-la-scene-au-quebec/publication/faits-saillants-frequentation-arts-scene-quebec-donnees-annuelles-2023 (8,8 million d’entrées par an). 2 2 Calculs de l'auteur basés sur des données provenant de Andrew P.W. Bennett, “Still Christian(?): What Canadians Who Identify as Christians Actually Believe.” Cardus, 2024. https://www.cardus.ca/research/faith-communities/reports/still-christian/.

Dispositions légales pertinentes

La neutralité religieuse de l’État est un principe juridique fondamental du droit québécois, explicitement énoncé à l’article 2 de la Loi sur la laïcité de l’État (L-0.3) comme l’un des quatre piliers du régime de laïcité aux côtés de la séparation des religions et de l’État, de l’égalité des citoyens et de la liberté de conscience. Cette loi impose aux institutions publiques un devoir de neutralité en fait et en apparence (art. 3), de manière à assurer au Québécois leur droit à un État laïc, exempt de préférences ou de discriminations fondées sur la religion.

À cette loi s’ajoute la Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État (R-26.2.01), qui encadre les accommodements pour motifs religieux et impose aux fonctionnaires et partenaires de l’État un devoir de neutralité dans leurs relations avec le public (art. 4). Elle stipule également que les accommodements doivent respecter les principes d’égalité, de sécurité et de bon fonctionnement des services publics (art. 11).

Dans le présent mémoire, nous distinguons deux types d’acteurs liés au fait religieux 3 3 Contrairement au droit français, qui distingue formellement les associations cultuelles (Loi 1905) et les associations culturelles (Loi 1901), le droit québécois n’établit pas de distinction aussi nette. Ce flou peut entraîner, dans la pratique, une insécurité juridique pour les groupes religieux, ainsi qu’une application inégale du principe de neutralité religieuse. D’ailleurs, une clarification législative inspirée de cette typologie pourrait contribuer à une reconnaissance plus équitable et stable du rôle civique des acteurs religieux au Québec bien que ce ne soit pas l’objet du présent mémoire. , aux statuts et fonctions civiques distincts :

  1. Les communautés religieuses vouées au culte, qui sont des personnes morales incorporées en vertu de lois spécifiques (Loi sur les fabriques, Loi sur les corporations religieuses, Loi sur la constitution de certaines Églises). Ces entités détiennent et administrent des lieux de culte, immeubles consacrés à l’exercice public de la religion, qui bénéficient d’exonérations fiscales en vertu de l’article 204 de la Loi sur la fiscalité municipale, pour autant qu’ils soient utilisés exclusivement à des fins cultuelles.
  2. Les organismes sans but lucratif (OBNL) d’inspiration religieuse, qui ne sont pas voués au culte proprement dit, mais qui mènent des activités sociales, éducatives ou caritatives inspirées par une tradition religieuse. Ils sont régis par les règles générales applicables aux OBNL et sont soumis, dans l’accès aux programmes publics ou aux exonérations fiscales, à des critères liés à la nature de leurs activités.

Position de principe

En vertu de l’article 2 de la Loi sur la laïcité de l’État, le principe de neutralité religieuse impose à l’État québécois de s’abstenir de favoriser ou de défavoriser une croyance religieuse ou conviction, y compris l’absence de croyance. Ce principe commande à l’État de ne pas financer les cultes, conformément à une règle constitutionnelle bien établie dans la tradition libérale québécoise et dans le droit comparé (notamment l’article 2 de la loi française de 1905 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. »). Il commande également de ne pas entraver l’exercice paisible du culte, par des mesures fiscales, réglementaires ou administratives indues.

Ce principe s’applique toutefois de manière différenciée, selon qu’il est question :

  1. Des lieux de culte
    Dans le cas des édifices affectés exclusivement à l’exercice public du culte, détenus par des personnes morales religieuses reconnues (fabriques, corporations religieuses, etc.), l’exonération fiscale prévue à l’article 204 de la Loi sur la fiscalité municipale constitue une mesure de non-ingérence, et non une subvention. Taxer ces lieux reviendrait à assimiler une activité non lucrative d’intérêt spirituel à une activité commerciale, ce qui contreviendrait à la neutralité de l’État.
  2. Des OBNL d’inspiration religieuse
    Pour les organismes qui, sans être voués au culte, poursuivent des fins sociales, éducatives ou caritatives en s’inspirant de principes religieux, le devoir de neutralité commande un traitement équitable dans l’accès aux ressources et programmes publics. Il ne s’agit pas ici de subventionner le culte, mais de reconnaître que des services offerts au bénéfice du public doivent être évalués selon leur objet, et non selon leur source d’inspiration.

Ainsi, le respect du principe de neutralité religieuse implique que :

  • L’État ne subventionne aucun culte, mais ne taxe pas non plus l’activité cultuelle, conformément à son devoir d’abstention.
  • L’État traite de façon équitable les OBNL religieux, sans discrimination fondée sur leur ancrage spirituel, dès lors que leurs services sont accessibles et conformes au droit commun.

En somme, la laïcité ne signifie pas l’effacement du religieux de l’espace public, mais l’égalité de traitement entre toutes les convictions, dans le cadre d’un État impartial, respectueux de la diversité des engagements citoyens.

NEUTRALITÉ RELIGIEUSE DE L’ÉTAT : CADRE NORMATIF ET INTERPRÉTATION

Contestations récentes de l’exonération fiscale des lieux de culte

Malgré la reconnaissance historique et juridique de la neutralité religieuse, certaines voix institutionnelles remettent aujourd’hui en question l’exonération fiscale accordée aux lieux de culte.

Par exemple, la municipalité de Boisbriand a notamment adopté une résolution demandant à l’Union des Municipalités du Québec (UMQ) «que soit remis en question le principe d’exemption fiscale des institutions religieuses». 4 4 Ville de Boisbriand, « Refonte des principes d’exemptions fiscales pour motifs religieux : la Ville de Boisbriand souhaite se faire entendre », [en ligne], 6 février 2024, https://www.ville.boisbriand.qc.ca/decouvrir/actualites/communiques/refonte-des-principes-dexemptions-fiscales-pour-motifs-religieux-la-ville-de-boisbriand-souhaite-se-faire-entendre (consulté le 12 mai 2025). La municipalité de Boisbriand soutient que ces exemptions représentent une perte de revenus pour les municipalités et qu’elles ne sont plus justifiées dans le contexte actuel.

Ces initiatives s’inscrivent dans une tendance plus large de relecture critique du rôle social des institutions religieuses, souvent à partir de prémisses « sécularistes » qui confondent laïcité et athéisme anti-religieux et qui ne reconnaissent pas pleinement la contribution publique des groupes de foi.

L’Institut Cardus considère que les démarches visant à restreindre les mécanismes de reconnaissance fiscale des groupes religieux comportent un risque réel de dérive interprétative de la laïcité, où la neutralité, plutôt que d’assurer l’équité, glisserait vers une forme d’exclusion indirecte du religieux dans l’espace civique.

Or, la mission du présent comité, qui est de renforcer le modèle de laïcité québécois, constitue une opportunité précieuse de rétablir et de clarifier le principe de neutralité religieuse de l’État. Une telle approche permettrait non seulement de garantir un traitement équitable pour l’ensemble des citoyens, mais aussi d’affirmer aux communautés religieuses qu’elles ont pleinement leur place dans le projet de société québécois, en tant que partenaires actifs au sein de la communauté.

PARTIE 1 - L’EXONÉRATION FISCALE DES LIEUX DE CULTE: UNE APPLICATION PRATIQUE DE LA NEUTRALITÉ DE L’ÉTAT

Taxer les cultes : une forme d’ingérence contraire à la laïcité

Dans un État laïque, la fiscalité ne doit pas devenir un instrument de contrôle ou de restriction de la pratique religieuse. Imposer les lieux de culte, comme s’il s’agissait d’activités commerciales, reviendrait à nier leur caractère civique et non lucratif.

Cette confusion est en partie héritée de l’étatisation massive des services publics depuis la Révolution tranquille, qui a marginalisé d’autres formes de contribution au bien commun. Or, le culte religieux demeure un service public 5 5 Nous soulignons que le terme « liturgie » provient du grec ancien λειτουργία (leitourgia), formé de laos (« peuple ») et ergon (« travail »), et désignait dans la Grèce classique un service public accompli au bénéfice de la cité, souvent à caractère religieux ou civique. Cette conception a été reprise dans le droit romain, où certains cultes officiels étaient considérés comme des obligations publiques. Le culte était ainsi perçu non comme une affaire strictement privée, mais comme une composante fonctionnelle du bien commun. Cet héritage s’est transmis, par le biais du droit canon et des structures pré-modernes de l’État, à plusieurs régimes juridiques occidentaux. Il explique en partie la persistance contemporaine de formes de reconnaissance juridique ou fiscale des services religieux, en tant qu’expressions non étatiques mais structurantes de la vie collective. , organisé par des Québécois, pour des Québécois, indépendamment de l’État.

L’exonération fiscale des lieux de culte ne constitue donc pas une subvention, mais une manifestation concrète de la laïcité: elle traduit à la fois la séparation des ordres (religieux et politique) et la neutralité de l’État, qui doit s’abstenir d’intervenir, ni en faveur ou défaveur, dans les affaires spirituelles.

Des institutions uniques, un traitement équitable

Deux objections principales sont souvent formulées contre l’exonération fiscale des lieux de culte :

  1. Qu’ils ne serviraient pas suffisamment l’intérêt public pour justifier une reconnaissance fiscale.
  2. Que leur action ne serait pas universelle, car réservée à une portion de la population partageant une foi particulière.

Il convient d’y répondre directement:

  1. Les lieux de culte servent l’intérêt public, comme d’autres institutions
    Les lieux de culte remplissent une fonction civique comparable à celle d’organismes artistiques, culturels, sportifs ou même politiques, qui bénéficient eux aussi d’exonérations fiscales lorsqu’ils poursuivent une mission d’intérêt collectif. Ils offrent du soutien moral, des activités communautaires, de l’aide sociale, des services éducatifs ou intergénérationnels, parfois bien au-delà de leur base confessionnelle.

    Exiger d’eux une démonstration plus rigoureuse de leur « rendement social » que celle imposée à un club sportif ou à un centre culturel serait contraire à la neutralité de l’État 6 6 Rappellons que l’État Québécois a dépensé 5,6 M $ pour faire venir un club de la LNH disputer deux matches à Québec en 2024, cette seule dépense équivaut à 3.11% de la valeur totale des exemptions accordées au 5000 lieux de culte du Québec. RDS, « LNH : la visite des Kings de Los Angeles à Québec aura coûté 5,6 M$ », RDS.ca, 11 avril 2024, https://www.rds.ca/hockey/lnh/lnh-la-visite-des-kings-de-los-angeles-a-quebec-aura-coute-5-6-m-1.20500144 (consulté le 12 mai 2025). . Le critère d’intérêt public doit s’appliquer également à toutes les formes d’engagement civique, qu’elles soient religieuses ou séculières. La spécificité spirituelle ne devrait ni avantager ni désavantager.

  2. L’ouverture d’une institution ne dépend pas de son taux de fréquentationQuant à l’argument d’un manque d’universalité, il repose sur une confusion fréquente : l’universalité d’une institution ne se mesure pas à sa fréquentation, mais à l’ouverture de son accès. Un musée d’art contemporain ou une université n’accueille qu’une fraction de la population, sans que leur statut de bien public soit remis en cause. De la même manière, une église protestante ou une synagogue n’impose aucune barrière à l’entrée : toute personne peut y participer, ou en bénéficier indirectement par les services qu’elle soutient.

Discrimination géographique et exclusion foncière

L’aménagement du territoire et le zonage urbain sont devenus des leviers indirects de marginalisation des groupes religieux au Québec. Alors que les églises historiques bénéficient d’emplacements centraux attribués dans un contexte d’alliance traditionnelle entre l’État québécois et le catholicisme, les nouveaux lieux de culte, souvent issus de communautés immigrantes, se voient confinés à des zones industrielles ou en périphérie.

Dans les faits, plusieurs municipalités refusent l’implantation de nouveaux lieux de culte, soit dans les quartiers résidentiels ou centraux, sous prétexte de préserver la valeur foncière ou la tranquillité du voisinage ou parfois même sur l’ensemble de leur territoire. D’autres redéfinissent leur zonage institutionnel sans prévoir d’espaces pour les besoins religieux, alors même que ces besoins sont en croissance. 7 7 Voir le rapport de Cardus mené en collaboration avec la ville de Calgary: Calgary City Soul, Phase II, Final Report.  https://www.cardus.ca/wp-content/uploads/2023/05/Calgary-City-Soul-Phase-II-web.pdf

Cette situation engendre une forme de discrimination spatiale, en ce qui a trait à l’égalité d’accès aux services religieux pourtant garantis par la neutralité. Elle crée aussi des pressions injustes sur les groupes religieux minoritaires, qui doivent composer avec des bâtiments inadaptés, des baux précaires ou des coûts disproportionnés.

Or, l’article 2 de la Loi sur la laïcité de l’État exige que l’État assure l’égalité de tous les citoyens, croyants et non-croyants. Le principe de neutralité religieuse ne peut être respecté si les communautés religieuses ne peuvent s’implanter de manière stable, visible et accessible dans les espaces communs de la société.

Exonération des lieux de culte: conclusion

Les lieux de culte fonctionnent de manière concrète comme des institutions publiques à haute valeur sociale ajoutée entièrement indépendantes du soutien de l’État. Ils offrent des services essentiels tels que le soutien moral, l’accompagnement psychosocial, l’aide alimentaire, les services pour l’enfance, facilitent l’intégration sociale et la francisation, etc.

Il est important aussi de noter que les lieux de culte travaillent généralement de concert avec des organisations civiques qui œuvrent dans différents domaines charitables au-delà du culte et ouverts à tous, sans exigence de participation confessionnelle. La participation bénévole au sein de ces institutions, souvent séculières, est une expression des convictions religieuses des croyants pratiquant dont le taux de participation bénévole supérieur à la moyenne (29% des bénévoles quoique 14% de la population générale) 8 8 Statistique Canada, « Taux de bénévolat et heures annuelles moyennes de bénévolat, selon la définition du bénévolat et la pratique religieuse », tableau 45-10-0045-01, 26 janvier 2021, https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=4510004501. .

L’étude empirique de Cardus sur l’effet de halo (2024) 9 9 Wood Daly, Mike. « L’exonération fiscale des organismes religieux, un plus pour tous les Canadiens ». Cardus, 2024. https://www.cardus.ca/research/spirited-citizenship/reports/exoneration-fiscale-des-organismes-religieux-un-plus-pour-tous-les-canadiens/. démontre que chaque dollar en exemptions fiscales accordé à une congrégation religieuse génère, en moyenne, 10,47 $ en valeur sociale et économique nette. Ce calcul comprend des éléments tangibles : accessibilité des infrastructures, participation communautaire, réduction de l’isolement, etc.

Il en résulte une conclusion claire : les lieux de culte assument des fonctions de service public, sans être financés par l’État, tout en produisant des retombées sociales que celui-ci devrait reconnaître objectivement, sans considération idéologique liée à leur fondement religieux.

PARTIE 2 : LA NEUTRALITÉ À GÉOMÉTRIE VARIABLE : TRAITEMENT INÉGAL DES OBNL RELIGIEUX

Dans cette section, nous mettons en lumière deux grandes menaces à la mise en œuvre effective du principe de neutralité religieuse, en y associant à chaque fois des pistes de solutions concrètes.

Arbitraire et discrimination d’organismes qui ne sont pas régis par la Loi sur la laïcité de l’État

Si le principe de neutralité religieuse est bien établi en droit québécois, sa mise en œuvre concrète demeure marquée par des pratiques inégales et parfois contradictoires. Les groupes religieux du Québec rapportent que le traitement qui leur est réservé varie considérablement selon les municipalités 10 10 Des municipalités, telles que Lavaltrie dans Lanaudière, ne permettent pas l’accès à des espaces publics, comme des salles communautaires, à des groupes religieux, tandis que d’autres le permettent. De même, la location de salle est maintenant interdite dans les écoles publiques, mais permise dans les CÉGEPs. , les secteurs administratifs, et même selon les individus en poste. Certains fonctionnaires et programmes de l’État appliquent la neutralité de façon inclusive, en évaluant les OBNL religieux au même titre que tout autre organisme communautaire. D’autres, au contraire, excluent systématiquement les groupes religieux de certains programmes ou processus, en confondant neutralité avec exclusion 11 11 Les demandes de subvention à l’emploi faites auprès d’Emploi Québec par exemple sont parfois acceptées, parfois refusées, au nom de la laïcité de l’État. .

Cette approche arbitraire percole des institutions de l’État québécois aux organismes publics, para-publics et communautaires. 12 12 Par exemple, le responsable d’une banque alimentaire d’inspiration chrétienne (le Samaritain de Disraeli), nous a informé que l’organisme s’est littéralement fait couper les vivres du jour au lendemain au nom de la Laïcité de l’État. Plusieurs cas du genre nous sont communiqués chaque année.

Ces dérives ont des conséquences mesurables que nous désirons souligner: inaccessibilité à des subventions publiques, et absence d’adaptation du cadre légal et fiscal aux réalités religieuses contemporaines. Elles traduisent souvent une interprétation restrictive ou idéologique de la laïcité, qui va à l’encontre de l’intention du législateur québécois tel qu’énoncée dans la Loi sur la laïcité de l’État.

Inégalités d’accès aux programmes publics

Plusieurs groupes religieux (communautés religieuses, groupes étudiants, organismes de charité) rapportent être exclus, de manière explicite ou implicite, de programmes gouvernementaux destinés aux OBNL, notamment en matière de subventions salariales ou de financement communautaire. Cette exclusion découle souvent d’une interprétation erronée de la neutralité religieuse, où l’on confond l’impartialité de l’État avec le rejet systématique du religieux.

Pourtant, ces organismes offrent des services sociaux comparables à ceux de leurs homologues: soutien aux jeunes, lutte contre la pauvreté, intégration des immigrants, accompagnement psychosocial. Le refus de leur accorder un accès égal crée une inégalité économique difficilement justifiable, d’autant plus que leurs employés et bénévoles participent, comme tous les autres citoyens, à l’effort fiscal collectif.

Il va de soi que l’État doit veiller à ce que les fonds publics ne servent pas à financer le culte, ce qui serait contraire au principe de laïcité. Toutefois, cette vigilance ne saurait justifier une exclusion systématique. Il est tout à fait possible d’établir des critères clairs dans les conditions de subvention pour distinguer les activités cultuelles (non admissibles) des activités sociales ou communautaires (admissibles), même lorsqu’elles sont portées par des organismes d’inspiration religieuse.

À cet égard, le cadre juridique français offre un exemple instructif. La loi de 1905 interdit à l’État de subventionner les associations « cultuelles » (affectées exclusivement au culte), mais autorise expressément le soutien aux associations loi 1901 dès lors que leurs activités sont sociales, éducatives ou caritatives, même si elles sont d’inspiration religieuse. Cette distinction légale permet un traitement équitable des organismes religieux sans compromettre la neutralité de l’État. Une clarification semblable dans le droit québécois permettrait de sécuriser juridiquement la participation des OBNL religieux à la vie civique, tout en respectant la séparation des ordres religieux et politique.

Recommendations

L’Institut Cardus propose les recommandations suivantes pour renforcer l’application cohérente, équitable et pragmatique du principe de neutralité religieuse dans les institutions publiques du Québec :

  1. Maintenir l’exonération fiscale des lieux de culte
    1. Reconnaître qu’elle constitue une mesure de neutralité, non une subvention.
    2. Préserver ce mécanisme essentiel à l’autonomie des communautés religieuses et à leur contribution sociale.
  2. Clarifier l’admissibilité des OBNL religieux aux programmes et infrastructures publics
    1. Assurer leur accès équitable aux subventions salariales, aux appels de projets et aux soutiens communautaires, à condition que leurs services soient ouverts et conformes aux lois civiles.
    2. Clarifier, par voie législative ou réglementaire, la distinction entre les activités cultuelles (non admissibles) et les activités sociales, éducatives ou caritatives (admissibles), même lorsqu’elles sont portées par des organismes d’inspiration religieuse. Cette précision, inspirée du modèle français qui distingue juridiquement les activités relevant du culte de celles d’intérêt public, permettrait de sécuriser l’application du principe de neutralité et d’éviter les exclusions arbitraires.
  3. Favoriser une application uniforme de la neutralité à travers une formation continue des fonctionnaires
    1. Renforcer la capacité de la Direction de la Laïcité à émettre des lignes directrices à l’intention des fonctionnaires de l’État québécois pour éviter les décisions arbitraires ou idéologiques fondées sur le caractère religieux d’un organisme.
    2. De créer des mécanismes non-judiciaires qui permettent aux groupes religieux de signaler le non-respect par l’État des principes de laïcité: institut indépendant sur la laïcité, consultation des groupes religieux, etc.
  4. Mieux assurer l’application du principe de neutralité au niveau municipal
    1. Mettre en place un fonds de compensation provincial pour éviter que les exemptions religieuses deviennent un fardeau fiscal local et une incitation à l’exclusion. Le gouvernement du Québec compense déjà certaines exemptions de taxes foncières municipales pour des immeubles publics, notamment ceux appartenant à l’État ou à des organismes publics, en vertu de la Loi sur la fiscalité municipale. Ce modèle pourrait être élargi pour inclure les lieux de culte, afin de garantir que les municipalités ne soient pas financièrement pénalisées pour l’application d’un principe de neutralité défini à l’échelle nationale. Une telle mesure réduirait la pression politique locale visant à restreindre l’implantation ou la reconnaissance fiscale des lieux de culte.
    2. Le gouvernement du Québec pourrait instaurer une directive nationale en matière de zonage religieux, suite à une consultation des divers groupes, invitant les municipalités à prévoir des espaces institutionnels accessibles aux lieux de culte dans toute planification urbaine majeure.